Les chroniques littéraires

 

par JH ROCH

 

Entre 2009 et 2014,

JH ROCH a publié une chronique littéraire mensuelle pour

La Belle Vie 50+

RETOUR AU CENTRE D'ACHAT

Mai 2014

 

Pour que tienne la terre

 

Par JH ROCH

 

Ce roman se situe durant les années 40 et 50.  Les chapitres sont titrés et partagés entre trois narrateurs : Gabrielle, Thomas et Harold.

 

D'autres personnages, omniprésents, hantent ces pages.  Philippe, le fils mentalement atteint de Gabrielle, Lewis Stevenson, le 'golden boy' qui abusa Gabrielle et lui donna un fils, Lomer et son frère Oscar, pêcheurs de marsoins, et en fond de scène, l'écarlate Hôtel Tadoussac, qui domine la baie et la plage du même nom, vénérable institution construite en 1864.  Et puis... la Belle Bleue, née peut-être la même année.

 

Un an après l'événement fatal que nous ne connaîtrons vraiment qu'à la fin du livre, Gabrielle revient au bout de quinze longues années sur le site du drame qui a atrophié sa jeune vie.  Elle est une adolescente enjouée, blonde, petite et vive, on la surnomme la Lutine.  Sa mère appartient au petit peuple qui vit des retombées économiques, ainsi dirions-nous de nos jours, que génèrent l'hôtel et ses riches visiteurs, canadiens-anglais et américains pour la plupart.  Ce sont les tâcherons qui lavent le linge, guident les touristes à la pêche, cuisinent et nettoient humblement.  Une manne, malgré tout, que ces riches anglais, car la vie au Saguenay est vraiment dure et à la merci des saisons.

 

La jeune fille, qui n'a jamais mis les pieds dans le luxueux hôtel sauf dans ses officines, se retrouve invitée par un jeune et charmant anglais, Lewis, à souper dans la salle à dîner.  Malgré les avertissements, Gabrielle déniche une robe et, en cachette de sa mère, se présente à l'hôtel pour ce premier rendez-vous éblouissant.  La Lutine prend cette petite aventure en riant, se croyant forte et avisée.  La soirée s'achèvera sur le viol d'une pauvre fille dupée par l'alcool dissimulé dans son jus de fruit et par un garçon sans scrupule.

 

Ce qui s'en suit, bien sûr, c'est le séjour déguisé à Montréal chez les soeurs de la Miséricorde, l'accouchement puis la détermination de Gabrielle à garder son enfant plutôt que de le confier à l'adoption, c'est le retour de Lewis dans sa vie, pour l'argent et pour le pire, la descente aux enfers d'une fille-mère au prise avec un cas que la psychiatrie ne pouvait encore expliquer.

 

Lorsque Gabrielle revient sur les lieux du crime   pourquoi ? elle n'en sait rien elle-même   elle rencontre Thomas, l'ennemi des pêcheurs.  Le vieux est ostracisé par presque tous les habitants des côtes du fleuve.  On veut l'enfermer à l'asile, on lui fait porter la responsabilité d'affreux malheurs.

 

Défenseurs des cétacés, Thomas prend la mer tous les jours dans son petit bateau et rempli des carnets de notes sur ses observations.  Il entend les chants des baleines à d'incroyables distances, il comprend leur langage.  Bien sûr, il est fou.  Ils sont fous également ceux qui s'interposent entre les baleines et les navires-usines, mais de nos jours, on sait, c'est toute la différence.

 

Blessé bêtement à la cheville pour avoir tenté d'empêcher Gabrielle de marcher sur une étoile de mer, soigné par Harold Beattie, un médecin visionnaire et avant-gardiste, Thomas se retrouve entouré, pour une des rares fois dans sa vie, d'un ange soignant et d'un docteur qui investi sa vie.

 

Harold sauvera-t-il l'existence de ces deux êtres ?  Quel est celui ou celle qui sauvera l'autre, à moins que ce ne soit les sages et mystérieuses baleines ?

 

Nous sommes ici en présence des éléments d'une tragédie.  Écrite à rebours du temps, l'oeuvre nous permet de mesurer le chemin que le Québec a parcouru, socialement surtout, depuis l'après-guerre.

 

Les mécanismes de l'action dans ce livre sont lents et lourds, comme il se doit.  Amples mouvements de la marée, implacables et inévitables, bien plus anciens que les humains, aussi âgés que la terre qui ne tient et ne tiendra que si nous, pélerins éphémères que nous sommes, ne scandons à son rythme qu'un chant harmonisé et respectueux.

 

Plongez dans les profondeurs de ce roman.  À lire absolument.

 

Pour que tienne la terre

par Dominique Demers

420 pages

Éditions Québec Amérique